Mais j'ai bien dit, au début, que je voulais vous parler de Richard Stallman, et pas du logiciel libre. Et Richard Stallman, c'est quelqu'un qui est réputé pour être assez pénible à vivre au quotidien, et qui, surtout, cumule un bon paquet de prises de positions publiques qu'on va pudiquement qualifier de « assez douteuses ».
Par exemple, il est connu pour pas mal de dérapages sexistes assumés, qui avaient notamment été épinglés dans le grand article de Mar_Lard sur le sexisme général chez les geeks (le site n'a hélas plus l'air de fonctionner, mais je vous mets le lien vers la Wayback Machine parce que même onze ans après, l'article reste important à (re)lire)
Et soit dit en passant, ça ne se limite même pas aux programmes informatiques, en fait, parce que le mouvement du logiciel libre a aussi inspiré ailleurs, et redonné une nouvelle dynamique au mouvement plus ancien des biens communs.
Les licences Creative Commons (et Art Libre) sont directement inspirées des licences de logiciel libre. Si vous pouvez aller apprendre des choses fascinantes sur Wikipédia, écouter de la très chouette musique sur Dogmazic, récupérer une très grosse partie du catalogue de Skeptikon… c'est, plus ou moins indirectement, grâce à Richard Stallman.
Ça ne se voit pas forcément sur l'informatique personnelle, qui est dominée par Windows, Android et iOS/MacOS, qui ne sont pas libres. Mais par exemple, à peu près toute l'architecture d'Internet fonctionne essentiellement avec du logiciel libre. Et en fait, quand on regarde sous le capot, même dans Windows, Android et iOS/MacOS, il y a une grosse partie de code qui vient de logiciel libre (Android utilise par exemple le noyau Linux).
Évidemment, faire tourner Alphabet/Google, ce n'était pas le contrat de base, ça montre que ce qu'ils ont fait n'était pas parfaits. Mais dans les exemples de logiciels libres sympa, on a par exemple Mastodon et Pleroma, grâce auxquels vous lisez ce message, et les autres outils du Fédivers (PeerTube, Pixelfed, Castopod, etc). On peut vraiment dire que, sans Richard Stallman, l'informatique aujourd'hui aurait une toute autre tronche, et serait sacrément moins fun.
Et il ne s'est pas contenté de lancer une définition théorique. Il a réuni un petit groupe de gens autour de lui, des informaticiens, mais aussi des juristes, et ensemble ils ont écrit des licences de logiciel libre, fondé la Free Software Foundation, et lancé un grand projet, appelé projet GNU, pour permettre de faire tourner l'informatique uniquement à base de logiciel libre, pour que nos outils nous appartiennent vraiment, et pour que ce qu'on fait en informatique fasse partie du patrimoine de l'humanité, et pas du bénéfice exclusif de quelques personnes.
Évidemment, y a eu des hauts et des bas, entre 1983 et maintenant, l'informatique a pas mal changé. Mais le projet GNU a effectivement été le terreau qui a permis à plein d'autres trucs de pousser.
Du coup, il a décidé qu'il fallait faire quelque chose. Et il a lancé le mouvement du logiciel libre. C'est lui qui a proposé cette manière d'appeler ça comme ça, avec une définition en quatre points. Un logiciel est libre quand, quand vous le recevez, vous avez droit de : – L'utiliser, sans restriction. La loi peut vous empêcher certains usages, mais pas la personne qui met le logiciel a disposition ; – L'étudier. Si le programme fait quelque chose, vous devez pouvoir savoir quoi. Déjà, ça permet aux gens qui s'y connaissent de vérifier qu'il fait bien ce qu'il dit, et puis ça permet aux autres d'avoir de quoi apprendre pour s'y connaître aussi. – Le modifier. Si jamais le programme ne fait pas tout à fait ce qu'il devrait, ou si vous avez une idée pour que ça marche mieux, vous devez pouvoir le faire. Ou demander à quelqu'un de le faire pour vous, si vous ne savez pas. – Le partager. L'informatique, ça permet de copier des choses super facilement, alors une fois que vous avez un programme entre les mains, que vous l'ayez modifié ou pas, il n'y a juste pas de raison de vous empêcher de le passer à d'autres gens aussi.
Richard Matthew Stallman est un informaticien américain. En 1983, il a eu un souci avec son imprimante, qui ne fonctionnait pas comme prévu. Étant informaticien, il s'est dit qu'il allait corriger ça. Sauf que quand il a essayé d'aller bidouiller le programme qui faisait tourner ladite imprimante… il s'est rendu compte qu'il n'avait pas le code du programme en question. Son imprimante était une « boîte noire », sans possibilité de mettre les mains dedans.
Et là il s'est dit que c'était un grave problème, parce que si on te file des outils informatique sans la possibilité d'aller les modifier, en fait on ne te les file pas. Tu n'obtiens pas tes outils informatiques à toi, seulement un droit d'accès aux outils informatiques de quelqu'un d'autre.
Donc voilà, tout ça pour rappeler qu'avoir personnellement créé un truc intéressant et qui a de bons résultats ne doit pas être un totem d'immunité pour ce qu'on fait d'autre par ailleurs. Si le logiciel libre existe et continue de progresser aujourd'hui, c'est en pratique plutôt malgré Stallman que grâce à lui, quelle que soit l'importance qu'il ait eu historiquement.
La vénération d'un homme providentiel dont on aurait besoin de la sagesse, c'est une caractéristique du camp d'en face, à la base, donc ça pourrait être intéressant qu'on ne sombre pas dans ce travers. On peut être reconnaissant aux gens qui nous ont permis d'être là aujourd'hui, et pourtant trouver que, maintenant, ils feraient mieux de la fermer et laisser les autres gérer.
♪♫ Il n'est pas de sauveur suprême, ni dieu, ni césar ni tribun !
Et dans un autre registre, il y a des choses franchement gênantes aussi comme le fait qu'il ait publiquement pris la défense d'un copain à lui impliqué dans une affaire de prostitution de mineurs. Suite au scandale que ça a provoqué, il a quand même été viré de son poste au CA de la Free Software Foundation… avant d'annoncer lui-même deux ans plus tard qu'il y était réintégré, d'ailleurs par surprise (une partie des employés de la FSF n'étaient même pas au courant et on démissionné en conséquence).
En réaction, plusieurs projets importants du mouvement du logiciel libre, comme Debian ou Fedora, ont décidé de cesser publiquement tout soutien à la FSF, et sa présence continue de générer des tensions actuellement, même si en pratique son potentiel de nuisance a diminué parce que la plupart des gens ne l'écoutent plus.
Parmi les prises de positions douteuses de Stallman, on a par exemple celle sur l'accessibilité. On lui a déjà fait remarquer que la liberté d'utiliser le logiciel, c'est bien joli, mais que s'il est juste inutilisable parce que pas accessible (par exemple, si ça nécessite d'y voir, les personnes malvoyantes vont avoir du mal), ça ne libère pas grand chose, de fait. Il s'est contenté de répondre que pour lui l'accessibilité était une fonctionnalité ni plus, ni moins importante que les autres (en clair, il n'est pas concerné, donc ce n'est pas son problème).
Ce n'est pas le seul exemple du style qui me vienne en tête, le gus est aussi connu pour des attaques que les gens qui ne supportent pas les critiques contre le NFP aujourd'hui qualifieraient de « contre son camp », mais je ne vais pas m'étendre sur le sujet pour l'instant. Si jamais, j'avais fait un article là-dessus il y a longtemps aussi mais un peu moins que le précédent :
On peut vraiment dire que, sans Richard Stallman, l'informatique aujourd'hui aurait une toute autre tronche, et serait sacrément moins fun. Et encore, faut le dire vite.
Je suis près à parier ma chemise (je ne prends pas trop de risques) qu’en l’absence de Richard Stallman le mouvement du Logiciel Libre porterait peut-être un nom différent, mais aurait très probablement émergé tout de même.
Ça a été le premier qui en a parlé et qu’on a écouté parler, mais rien ne dit : - que d’autres n’en ont pas eu l’idée avant lui, qu’on n’aurait juste pas écoutés ; - que d’autres auraient eu l’idée après lui, sans lui.
Bon, je ne me base que sur des trucs impossibles à réfuter, donc ma chemise devrait être en sécurité ;)
@vv221@elzen J'aurais aussi tendance à aller dans ce sens, des licences libres y'en as eu un sacré paquet après 1980 (MIT, BSD, …) suite à la décision par le United States Congress de permettre le copyright sur les logiciels.
Que ce soit dans la définition de la FSF ou dans celle de l’OSI, l’exploitation capitaliste est garantie. Même avec la GPL. Même avec l’AGPL.
Les quelques licences réellement anti-capitaliste sont de facto non-libres. C’est une des raisons majeures pour lesquelles je considère que le principe de Logiciel Libre est périmé.
@vv221@elzen@lienrag Périmé personnellement j'irais pas jusque là en tout cas tant que je serais encore dans un système capitaliste.
Surtout que j'ai pas vraiment de soucis vis a vis des entreprises que je qualifierais de non-bourgeoise, c'est à dire celles qui font faillite si jamais elles ont une baisse de revenus lié à la vente pendant mettons un an. L'exemple typique pour moi étant les entreprises qui ont fait faillite pendant le covid. Un autre example pourrait aussi être la presse indépendante qui mettrais la clé sous la porte sans les abonnement, face au reste qui est dépendant d'investisseurs (donc de bourgeois).
Par contre ça serait pas déconnant d'avoir des licences qui au minimum interdisent les bénéfices, surtout coté licences culturelles.
@tala@elzen@vv221 Du tout une license n'appartient pas à du libre ou de l'open-source, mais sont certifiés open-source ou libre, et la plupart comme les BSD et MIT sont à la fois libre et open-source, les définitions étant très similaires.
@tala@elzen@vv221@lienrag En étant précis, le copyleft ne permet pas d'obtenir à la fin une license commerciale exclusive, y compris sur des œuvres dérivées et liés.
Par contre tout le monde à le droit d'en faire une utilisation commerciale, y compris paywall.
Au passage un des trucs chiant des licences copyleft c'est leur manque de compatibilité entre elles (y compris au point que la GPLv2 est incompatible avec la GPLv3), donc souvent vaut au final mieux utiliser des logiciels sous d'autres licences pour éviter des soucis juridiques. Et entre prolos c'est chiant de prouver que le non-respect d'une license à eu un impact économique, et donc pas d'histoires juridiques. Par contre une grosse entreprise qui respecte pas une license ça peut rapidement faire une grosse partie de leur revenus.
@lanodan Alors oui : aucune n'interdit la réutilisation du travail produit sous cette licence par une entreprise rémunérant des actionnaires (même pour vendre des armes, extraire des combustibles fossiles, déforester...) Mais non : l'accaparement du travail ainsi publié est interdit. Les entreprises capitalistes ne peuvent se l'approprier. Elles préfèrent de loin les licences permissives et ce n'est pas par hasard. @elzen@vv221@lienrag
« Redistribution » peut désigner deux choses : soit partager le logiciel sous sa forme initiale, soit partager des versions modifiées du logiciel. Les deux doivent être possibles, mais les conditions peuvent différer.
La clause virale, c'est l'obligation que le code modifié soit soumis à une licence analogue à celle du logiciel de base (d'où cette appellation : la liberté se répand ici par contagion). C'est ce qui fait la différence entre la GPL, qui inclue une clause virale, et la LGPL, qui n'en inclue pas.
En revanche, si on parle d'une version non-modifiée du logiciel, alors elle est nécessairement diffusée sous les mêmes conditions que le logiciel de base, que la licence soit virale ou pas. Parce que ce n'est pas un truc qui dépend de la licence, en fait, c'est juste une application de base du droit d'auteur : que la personne qui détient ces droits t'ait autorisé certains usages ne te donne pas l'autorisation de changer toi-même les conditions de diffusion, le contrat de licence reste entre la personne qui reçoit le logiciel et celle qui l'a diffusée à la base, et en tant que redistributeur tiers tu n'as pas ton mot à dire.
@elzen Ce n'est pas la même définition de la redistribution que la GPL ou que la AGPL mais toutes imposent que la redistribution soit faite avec la même licence. @vv221@lanodan
@lanodan Une licence libre inclut, comme le lien que vous produisez le rappelle, une "liberté" particulière : celle de partager ... à condition d'accorder la même licence au destinataire. Cet aspect est laissé de côté par les licences open-source. Des entreprises ont subi quelques revers juridiques à ce sujets et les licences open-source sont largement préférées. @elzen@vv221